La fille aux yeux bleus
La fille aux yeux bleus
J’crois qu’elle m’a capté
Comme on capte une onde qu’on cherchait pas
Mais qu’on espérait en silence
Elle parlait pas trop
Mais ses silences résonnaient
Comme si chaque mot non-dit
Valait mille cris qu’j’ai jamais su pousser
Elle regardait l’monde
Avec des yeux pleins d’histoires
Pas des contes de fées
Plutôt des contes vrais
Qui te marquent au fond du bide
Et moi j’étais là
Paumé entre mes pensées crades
Et mes rêves éclatés
Et elle, elle m’a montré
Que même les cœurs cassés
Peuvent encore battre en rythme
C’tait pas une histoire d’amour
Pas au sens qu’les films veulent vendre
C’tait plus que ça
Un pont entre deux âmes
Abîmées mais pas mortes
Alors merci encore
À celle qu’a pas fui
Quand elle a vu
L’orage derrière mon sourire
Un peu de feu dans l’aube
Assis à l’écart, non loin de la rivière de guimauve qui serpentait à travers Nosyland — une rivière dont personne n’avait encore vraiment exploré ni le début, ni la fin — l’Archimage observait ce qu’il pensait être une nouvelle arrivante.
Une jeune femme se tenait près d’un arbre centenaire. Elle récitait une poésie étrange, à mi-voix, comme pour elle seule.
Il ne comprit pas les paroles.
Mais il sentit autre chose : quelque chose dans son regard.
Un mélange de tendresse blessée et de rage contenue.
Comme si les mots qu’elle prononçait n’étaient que la surface d’un monde en tension.
Cela lui inspira une pensée, surgie d’un pli du temps.
Une sorte de poème intérieur, né du trouble qu’elle avait éveillé en lui.
Comme un parfum qui revient sans prévenir.
Comme un reste de feu dans le matin brumeux.
Tu ressembles à une faille dans l’aube,
Un endroit par où glisse un peu d’éternité.
Je crois qu’on s’est reconnu,
Sûrement d’avant, peut-être d’ailleurs,
En tout cas, juste là — dans la fracture.
Peut-être qu’au temps jadis…
On s’est offert des bouts de lumière,
Juste assez pour traverser nos nuits.
Alors il murmura, pour lui-même :
Si je te vois, j’apprendrai ta langue.
Ou bien je t’apprendrai la mienne.
Il resta immobile un moment.
Puis il se leva sans bruit.
Demain, ou un autre jour incertain,
il préparerait un visa touristique pour cette nouvelle venue.
Les poètes sont tous les bienvenus à Nosyland.
Et maintenant,
il savait qu’il n’était plus seul à marcher
sur la ligne de fracture du temps.