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Une arrivée

Capitaine Grosygros et de nouveaux arrivants

Auteur : Jeanne Galy

L’air se densifia, le vent tourna et Grosygros sentit que les commandes du navire ne répondaient plus. Ils n’étaient plus très loin. Peu habitué à cette force palpable qui planait dans les alentours de Nosyland, il sentait son cœur crépiter plus fort dans sa poitrine.

Lorsque la coque heurta l’énorme rocher des côtes de l’île, ils surent qu’ils étaient arrivés. Enfin. L’eau s’engouffra doucement dans les cabines, comme si elle tenait à laisser le temps à l’équipage de décharger la cargaison peu commune.

Des gouttes perlaient sur le front de Mr Grosygros. Il fallait faire attention à ce que les capsules d'isolation sensorielle ne soient pas bousculées. Les sujets qu’elles contenaient étaient sous son entière responsabilité.
C'était d'ailleurs pour cela qu'il avait refusé d'utiliser les différentes portes faisant le lien entre les deux contrées.


Le reconditionnement humain était une opération délicate et affreusement coûteuse. Il avait été surtout extrêmement long et compliqué de faire admettre le bienfondé de l’expérience aux décideurs. La société grosylandaise du prêt à penser n’était que peu encline à la nouveauté. Cependant, il avait réussi à les convaincre qu’il pouvait y avoir du bon de tenter d’en finir avec l’éternel retour, la répétition, pour peut-être réussir à briser les boucles qui enclavaient la pensée dominante de Grosyland. « Plus l’on recommence, et plus c’est pareil » leur avait-il exposé « essayons d'initier quelque chose de différent. » C’en était alors suivi un débat sur le déconditionnement intensif qu’impliquait ce changement. Les sujets de Grosyland ne pourraient dépasser l’illusion de leurs contraintes que s’ils étaient en mesure d’oublier jusqu’au plus infime début de conditionnement qu’ils leur avaient été infligé dès leur gestation. Il fallait que les volontaires qui se prêteraient à l’expérience soient en pleine conscience qu’aucun retour ne serait possible, que leur destinée même changerait de façon irréversible. Rien ne devait rester de la Grosypensée, pas une bribe. Cette amnésie choisie était lourde de conséquences…
Enfin la dernière capsule fut déposée sur le sable. Un soupir de soulagement s’échappa de la gorge de Grosygros. Ils allaient pouvoir les ouvrir…

*



Un éclair lui brula la rétine au travers de ses paupières closes. Une source de chaleur irradia l’eau glacée de la capsule dans laquelle elle était immergée depuis 93 soleils déjà. Des vibrations sourdes lui parvinrent par ses conduits auditifs, vibrations qui se modulèrent en sons, puis en voix indistinctes. Des mains la hissèrent, leur contact fit l’effet d’un électrochoc sur sa peau plissée par l'eau, comme lorsque l'on reste longtemps dans un bain. Elle fut recouverte par une couverture de pétales de fleurs aux senteurs inconnues et réussit à ouvrir les yeux. D’autres grosylandais amnésiques comme elle tentaient péniblement de comprendre un gros Monsieur au visage inondé de sueur.




Le Voyage pouvait commencer.